L'expertise vétérinaire: transformer une appréhension en apprentissage
Au programme ce mois-ci, on parle de future délégation d'actes aux ASV, de frais vétérinaires jugés trop élevés par la CMA au UK, et de télémédecine, avant un gros plan sur l'expertise vétérinaire.
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Les dernières nouvelles
🧑🏻💻🇺🇸 Aux Etats-Unis, la télémédecine vétérinaire prend une importance croissante dans la chaîne de soins et dans les esprits, notamment pour surmonter les obstacles tels que l'accès aux soins et la pénurie de cliniciens. Les soins virtuels peuvent compléter les consultations en personne, offrant une flexibilité accrue pour les cliniciens et les propriétaires d'animaux de compagnie.
🇫🇷💉👩⚕️ Bientôt l’autorisation pour les ASV d’effectuer des prises de sang, poser des cathéters…? Le projet de loi sur l'agriculture inclut un article permettant aux ASV de pratiquer certains actes sous supervision vétérinaire après certification. RDV le 13 mai à l’Assemblée Nationale pour l’examen de ce projet de loi.
🇫🇷 L'enquête du Pr. Truchot, Professeur de psychologie sociale, confirme que la charge de travail affecte la santé mentale des vétérinaires, avec des effets sur le burn-out et les idées suicidaires. Ces résultats soulignent la nécessité d'améliorer les conditions de travail pour prévenir les risques pour les vétérinaires.
🇬🇧⚖️ Au Royaume-Uni, la Competition and Market Authority (CMA), équivalent britannique de notre DGCCRF, a rendu mi-mars 2024 son rapport préliminaire. Les principaux points d’inquiétude soulevés concernent notamment le manque de compétition généré par la consolidation du marché et des frais vétérinaires potentiellement jugés comme trop élevés pour les propriétaires d’animaux… Une telle enquête, et ses conséquences potentiellement dévastatrices pour nos confrères britanniques (fermeture de structures, chômage, ajustement à la baisse des tarifications?), suscite à juste titre l’émoi en terre d’Albion. Les principaux acteurs du monde vétérinaire britannique évoquent leur déception face à cette initiative dans une lettre adressée à la CMA.
🐶🛩️ Bark Air est une nouvelle compagnie aérienne dédiée aux propriétaires de chiens. Pour faire l’aller simple entre Londres et New York, comptez environ 8000$, rien que ça…
L’expertise vétérinaire, une pratique peu connue et souvent source d’angoisse, mais riche d’enseignements
En tant que vétérinaire praticien, l'idée d'être confronté à une expertise peut générer une appréhension légitime : pourquoi une expertise? Ai-je mal fait mon travail? Pourquoi le client fait-il appel à son assurance? Lors de cet acte vétérinaire, ai-je bien rempli mon obligation de moyens ? Comment prouver que mon obligation d’information est respectée ? Quelles seront les conséquences pour ma structure et pour moi? La crainte de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée est naturelle, face à la complexité des missions de l'expert et aux implications potentielles.
Comprendre l'expertise vétérinaire
Rôles et missions de l'expert
L'expert vétérinaire est un technicien mandaté par la justice ou par les parties prenantes d'un litige pour éclairer un juge ou une compagnie d'assurances sur des questions techniques relevant de la médecine ou de la chirurgie vétérinaire. Ses missions peuvent inclure :
→ Déterminer les causes d'un sinistre impliquant un animal
→ Décrire et évaluer les dommages (dommages matériels directs, indirects, dommages immatériels) et les préjudices économiques
→ Aider à comprendre les responsabilités à l’origine de la survenue du sinistre en cas de litige
En expertise amiable, ce sont le plus souvent les assurances des parties (protection juridique, responsabilité civile professionnelle) qui choisissent un expert vétérinaire pour les représenter.
En expertise judiciaire, le juge nomme un expert judiciaire vétérinaire, qui est le plus souvent inscrit sur une liste d’experts judiciaires près d’une Cour d’appel.
Qui peut être vétérinaire expert ?
Tout vétérinaire, inscrit à l’Ordre des vétérinaires, peut être vétérinaire expert lors d’une expertise vétérinaire, comme cela est écrit dans le Code de déontologie vétérinaire (Article R. 242-82 - Expertise).
La plupart des vétérinaires experts sont également praticiens, l’expertise amiable est une diversification d’activité, et rares sont les vétérinaires experts pratiquant exclusivement l’expertise. Ces experts peuvent réaliser leurs missions de façon isolée, ou bien faire partie d’un réseau de vétérinaires experts (ex Provetex.vet, VETODIT, AGROVET expertise, AudiVet, etc). Certains vétérinaires experts sont également inscrits sur la liste des experts judiciaires près des Cours d’appel pour les expertises judiciaires.
Exemples de situations d’expertises vétérinaires:
→ Mort d’une vache après une césarienne (l’expertise va chercher si le vétérinaire n’a pas fait de faute lors de la chirurgie, notamment si la suture utérine était bien étanche. L’expertise va nécessiter une autopsie)
→ Décès de chiots lors d’une césarienne de chienne
→ Décès d’un chien suite à un détartrage en période per ou post-anesthésique (l’intervention s’est-elle bien déroulée avec une sonde endotrachéale ?)
→ Grave complication après une colique sur un cheval (le vétérinaire a-t-il bien réalisé une palpation transrectale ?)
Déroulement d'une expertise
L'expert se base sur un dossier constitué de documents médicaux, de témoignages et d'autres éléments pertinents. Il peut également réaliser des examens complémentaires sur l'animal (e.g., examens sanguins, imagerie, etc). L’expertise vétérinaire peut se dérouler au chevet de l’animal, de façon nécropsique (e.g., autopsie suite au décès d’une vache après césarienne), ou bien “sur-pièces” si l’animal n’est plus présent (si animal décédé et plus de cadavre) ou bien que son examen le jour de l’expertise n’amènerait aucun élément supplémentaire. Il rédige ensuite un rapport d'expertise exposant ses conclusions et ses préconisations.
Très souvent l’expertise est dite contradictoire. Cela signifie que les deux parties seront présentes lors de l’expertise, la partie victime du sinistre, et la partie dont la responsabilité est recherchée. Chaque partie est représentée par l’expert vétérinaire missionné par son assurance.
Dans un premier temps l’expert récupérera les différents documents en lien avec le sinistre (examens vétérinaires, compte-rendus, factures, etc) et les déclarations de sinistre. C’est lors de cette phase que le vétérinaire dont la responsabilité est recherchée doit compiler tous les documents en lien avec le sinistre et les transmettre. Un rendez-vous sera fixé pour une réunion d’expertise amiable contradictoire qui dure habituellement entre 1 et 2 heures, au cours de laquelle chaque partie pourra expliquer la version des faits et pourra donner ses points de vue, le but étant de rédiger un procès verbal d’expertise en fin de réunion qui synthétisera la réunion, expliquant les faits, les circonstances du sinistre, les causes du sinistres, et l’estimation des dommages et du préjudice. Ce procès verbal permettra de marquer les points d’accord mais également les points de divergence.
Ce procès verbal est la pièce maîtresse de l’expertise et c’est à partir de lui que l’expert rédigera son rapport d’expertise vétérinaire qui permettra d’informer l’assurance et de répondre aux questions: quelles sont les circonstances du sinistre, ses causes, la responsabilité civile professionnelle peut-elle être engagée, chiffrer les dommages et le préjudice.
Il est important de rappeler que le vétérinaire expert agit en tant que technicien pour éclairer le demandeur de l’expertise qui peut être une assurance ou un juge selon la mission. Le rapport d’expertise est donc un rapport technique et non pas un document faisant droit. En effet, même si la plupart du temps l’assurance ou le juge suivent les conclusions du rapport d’expertise, il se peut que parfois ces demandeurs ne le suivent pas en totalité.
Les implications pour le vétérinaire praticien
L'expertise peut amener à mettre en cause la responsabilité du vétérinaire, si une faute est avérée dans son diagnostic, son traitement ou ses conseils. Cela peut avoir des conséquences financières importantes, ainsi qu'une incidence sur sa réputation professionnelle.
Pour que la responsabilité civile professionnelle du vétérinaire soit engagée, plusieurs éléments doivent être réunis lors du sinistre:
1. un dommage doit être identifié;
2. un fait générateur ou faute;
3. un lien de causalité entre ce fait générateur et le dommage.
Si ces trois éléments sont présents et peuvent être prouvés, alors la responsabilité civile professionnelle du praticien sera engagée et il sera tenu d’indemniser la victime du sinistre au titre de son préjudice.
Gérer l'appréhension et se protéger
Maîtriser ses pratiques professionnelles
La meilleure protection réside dans la qualité de ses pratiques professionnelles. Se tenir informé.e des dernières avancées scientifiques, respecter les protocoles et les recommandations, et documenter rigoureusement ses interventions sont des éléments clés. Il ne faut donc pas négliger le respect de son obligation d’information vis-à-vis des propriétaires d’animaux et bien veiller à ce que le consentement éclairé soit respecté. L’obligation d’information est une obligation parfois oubliée ou négligée par les praticiens et son non respect peut parfois être une faute qui incombe au praticien.
Nous conseillons donc vivement la rédaction et la signature d’un consentement éclairé lors du contrat de soin, notamment lors des situations à risque (e.g., anesthésie, chirurgie, hospitalisation, examens médicaux complexes, etc).
Se prémunir juridiquement
Souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle est indispensable pour se protéger financièrement en cas de mise en cause. Choisir un contrat adapté à ses besoins et à ses activités est essentiel. Lors du choix de son contrat il faudra se demander quelles sont les garanties nécessaires en lien avec son activité (activité canine, rurale, équine).
Face aux nombreuses assurances et aux différents contrats il est parfois difficile pour le praticien de s’y retrouver. Une prochaine newsletter traitera de cette question.
Communiquer avec bienveillance et transparence
En cas d'expertise, adopter une attitude ouverte et collaborative avec l'expert et la partie adverse est essentiel. Fournir toutes les informations utiles et répondre aux questions avec précision permet de clarifier la situation et de minimiser les risques.
Se faire accompagner
L'assistance d'un expert de partie
En cas d’expertise unilatérale demandée par un client ou l’assurance d’un client, il est pertinent de se faire représenter par un vétérinaire expert de partie. Cela permettra d’avoir une expertise contradictoire. Il pourra analyser la situation, défendre vos intérêts et vous assister dans les démarches administratives.
L'assistance d'un conseil juridique
En cas de litige complexe, il est important de se faire conseiller par un avocat spécialisé en droit vétérinaire. Il pourra analyser la situation, défendre vos intérêts et vous assister dans les démarches administratives et judiciaires.
Les organisations professionnelles
L’AFVE est l’Association Française des Vétérinaires Experts et a pour objet de “réunir les vétérinaires particulièrement intéressés par les activités d'expertise et qui recherchent à la fois le perfectionnement de leurs connaissances, la formation et l'information permanentes, ainsi que l'unité des actions engagées pour faire connaître et faire valoir leurs compétences dans tous les domaines de l'expertise vétérinaire. Son but est de promouvoir l'expertise vétérinaire. L'AFVE rassemble notamment des vétérinaires inscrits sur une liste judiciaire et des vétérinaires-conseils auprès de compagnies d’assurances”.
L'Ordre des Vétérinaires et les syndicats professionnels peuvent apporter un soutien juridique et psychologique aux vétérinaires confrontés à une expertise. Ils proposent également des formations et des ressources pour mieux appréhender les enjeux et les démarches à suivre.
L’ENVT propose une formation diplômante aux vétérinaires, le Diplôme d’École en Droit et Expertise Vétérinaire (DDEV), dont l’objectif est de parfaire la culture des vétérinaires pratiquant l’expertise, les aider à accomplir leurs missions, et d’appréhender les théories et les outils de l’expertise et du conseil.
Ainsi, l'expertise vétérinaire, bien qu'impressionnante, ne doit pas être une source de stress insurmontable. En se formant, en se prémunissant juridiquement et en s'entourant de professionnels compétents, le vétérinaire praticien peut transformer son appréhension en une opportunité d'apprentissage et de consolidation de sa pratique. Une bonne prise en charge de la survenue des erreurs en établissement de soins vétérinaires, avec notamment une mise en place d’une culture de démarche qualité (cette thématique sera développée dans une prochaine édition), une volonté de matérialiser plus souvent le consentement éclairé lors des actes plus risqués, permettraient aux vétérinaires praticiens de se prémunir de nombreuses mises en cause de leur responsabilité civile professionnelle.
Je suis Stéphane Cluseau, docteur vétérinaire mixte libéral, diplômé du Diplôme d’Ecole en Droit et Expertise Vétérinaire, vétérinaire expert en assurances, membre de Provetex, réseau de vétérinaires experts et expert inscrit près la Cour d’appel de Toulouse. A l’écoute de l’actualité vétérinaire et des enjeux de la santé animale, j’accompagne les entreprises vétérinaires et de santé animale en tant que consultant sur des aspects de droit et règlementation, formation, et mise en oeuvre pratique.
En cas de questions n’hésitez pas à me contacter ➡️ animall.life.contact@gmail.com.